CHAPITRE XII

Kirtan Loor croisa les mains dans son dos pour dissimuler leur tremblement.

— Je suis votre obligé, madame le Directeur. Je suis là pour vous obéir.

— Que c’est gentil à vous, agent Loor !

Ysanne Isard appuya sur un bouton. L’éclairage augmenta d’intensité. La pièce avait un haut plafond voûté. Les murs et le sol étaient bleu foncé, mais le tapis était bordé du rouge vif des gardes impériaux. La salle contenait un bureau et des chaises, un mobilier élégant mais simple.

Kirtan trouva bizarre qu’une pièce presque vide semble si opulente. Puis il comprit.

Sur un mode aussi peuplé que Coruscant, se permettre de gaspiller tant d’espace est le comble du luxe.

Ysanne portait un uniforme d’amiral, sans les galons. Une bande noire entourait le haut de son bras gauche. Elle irradiait la puissance.

Elle avait au moins douze ans de plus que Kirtan. Pourtant, il la trouva attirante. Grande et mince, elle portait les cheveux longs, et des mèches blanches partant de ses tempes lui donnaient un air exotique. Son visage était d’une beauté classique : la mâchoire solide, les pommettes bien dessinées, le front haut, le nez gracieux et les grands yeux étaient des attributs que plus d’une femme aurait enviés.

Pourtant, la peur étouffa toute trace de désir charnel en Kirtan.

Il la regarda dans les yeux. Le droit était d’un bleu de glacier, froid et cruel comme Hoth. Le gauche était rouge sang, traversé par des éclairs dorés.

Kirtan frissonna. La femme sourit.

— Agent Loor, votre dossier contient des éléments intéressants. Il paraît que vous disposez d’une mémoire visuelle presque totale.

— Si j’ai vu ou lu quelque chose, je m’en souviens.

— Un outil bien pratique quand on s’en sert correctement ! Dans le rapport sur Bastra, vous précisez que vous n’avez pas utilisé de skirtopanol pour l’interroger, car il prenait de la lotiramine. Vous dites avoir pris cette précaution à cause d’un cas, sur Corellia, où le mélange des deux drogues a eu un effet négatif.

— En effet. Le suspect est mort.

— Votre rapport ajoute que vous avez profité du fait que la lotiramine masque la présence d’une blastonécrose pour mettre Bastra face à sa mortalité. Comme vous n’avez pas obtenu les résultats escomptés, vous avez utilisé les méthodes classiques d’interrogatoire.

— Privation de sommeil, rationnement des protéines, illusions holographiques et auditives utilisant ce que je savais de lui. Tout cela semblait prometteur. Puis la blastonécrose a provoqué une septicémie. J’ai aussitôt ordonné qu’il soit placé dans une cuve bacta pour traitement.

— Et ça l’a tué. Savez-vous pourquoi ?

— Il a eu une réaction négative au bacta.

— La raison ?

Kirtan s’apprêta à lui donner l’explication que le droïd médical avait émise, mais il comprit que Ysanne ne l’accepterait pas.

— Je l’ignore.

Isard hésita un instant. Kirtan comprit qu’il avait échappé à une punition grâce à sa sincérité.

— Que signifie ZX1449F ? À supposer que cela ait un sens pour vous.

Kirtan reconnut aussitôt la référence. Il resta un instant silencieux, ne voulant pas donner sa réponse avant d’être capable de la formuler sous une forme cohérente.

— Il s’agit du numéro du lot de bacta contaminé par les rebelles ashern sur Thyferra. Il est arrivé au Centre Impérial, où il a infecté près de deux millions de soldats. Il les a rendus allergiques au bacta. (Kirtan fronça les sourcils.) Mais Gil Bastra n’était jamais allé au Centre Impérial !

— Vous ne pouvez pas en être certain. Peu importe ! Il aurait pu être en contact avec ce lot de bacta n’importe où. Quand il a fallu s’en débarrasser, je me suis assurée que la plus grande partie partirait au marché noir. La blastonécrose touche environ deux pour cent des gens ayant été exposés au lot contaminé. Le droïd médical a dû demander au patient s’il avait été traité au bacta au cours des deux dernières années.

— Comme j’ai ordonné un traitement sans comprendre la signification de sa maladie, Gil Bastra est mort.

— Non ! Gil Bastra s’est suicidé.

— Quoi ?

— Ses rapports sur vous sont dans votre dossier. Mes pirates informatiques sont parvenus à les extraire des archives corelliennes. La meilleure façon d’évaluer un homme est de demander l’avis de ses ennemis.

L’estomac de Kirtan se ratatina.

— Ces évaluations étaient partiales.

— Peut-être, mais Bastra était très observateur. Il a écrit que vous vous fiez trop à votre mémoire, estimant que la rétention des informations compense une capacité d’analyse insuffisante. Comme vous connaissiez tant de choses sur l’interaction létale de la lotiramine et du skirtopanol, vous n’avez pas cherché plus loin. Si vous l’aviez fait, vous auriez pu découvrir son allergie au bacta, et il serait encore de ce monde.

Bastra vous connaissait assez pour savoir qu’il ne tarderait pas à être mort. Cette certitude lui a donné le courage de vous communiquer des informations inutiles. Il a tenu aussi longtemps que possible afin de permettre à ses associés de briser définitivement les liens avec leur passé.

L’agent de renseignement comprit soudain que la bravoure dont Bastra avait fait montre lors de leur première rencontre sur l’Expéditif n’était pas feinte. Il entendit de nouveau les paroles sarcastiques de l’homme.

Il a joué sur mon sentiment de supériorité, m’obligeant à le suivre comme un mouton à l’abattoir… J’ai été un imbécile pendant deux ans.

Une autre révélation le frappa. Il trembla.

— J’étais leur dupe depuis plus deux ans, n’est-ce pas ?

— Bon raisonnement, agent Loor. La responsabilité de votre aveuglement ne vous incombe pas entièrement. Notre formation et notre endoctrinement tendent à persuader nos agents qu’ils sont infaillibles. Ce n’était pas une bonne idée pour l’Empire. Vous n’êtes pas le seul à être tombé dans ce piège. Même le défunt Empereur avait des lacunes.

Kirtan jugea préférable de ne pas poser de question sur la sagesse ou le manque de sagesse de l’Empereur. Il continua sur son raisonnement précédent.

— La « dispute » entre Bastra et Horn était un coup monté. J’ai cru qu’ils étaient idiots de se fâcher pour des broutilles…

— De mieux en mieux, agent Loor ! Si vous aviez lu l’évaluation de Bastra sur vous, vous auriez compris bien plus tôt.

— Et je les aurais coincés !

— Vous étiez en si bonne voie ! Ne glissez pas sur la mauvaise pente.

— Je suis désolé…

— Dommage que ce ne soit pas vrai. Vous pensez voir des avantages là où il n’y en a aucun. L’Empereur a commis la même erreur. Il a cru que son Jedi Obscur et une poignée d’agents spéciaux suffiraient à contrôler la galaxie. Malgré mes avertissements, il n’a pas compris qu’il était impossible de prouver que tous les Jedi avaient été éliminés, et qu’aucun autre ne se dresserait contre lui. Son obsession l’a empêché d’évaluer la menace représentée par des chefs de l’opposition pas plus intelligents ou remarquables que vous.

En conséquence, la Rébellion risque de remplacer l’Empire par la Nouvelle République.

— Vous voulez restaurer l’Empire, dit Kirtan.

— Non. Je veux écraser la Rébellion. L’Empire ne pourra être rendu à sa grandeur passée que si nous éliminons les Rebelles, tant sur le plan militaire qu’administratif. Êtes-vous prêt à devenir un de mes agents et à travailler dans ce but ?

— Oui. Comment vous servir ?

Elle sourit. Kirtan frissonna.

— Votre mission est d’arracher son cœur à la Rébellion : l’Escadron Rogue.

— Pardon ? Je ne suis pas pilote de chasse. Et je ne sais rien de l’Escadron Rogue.

— Mais l’expérience nécessaire ne vous manque pas. Vous avez servi sur Corellia. Le chef de l’escadron est Corellien.

— Wedge Antilles, je sais. J’ai entendu parler de lui, mais je ne le connais pas.

— Vous pourrez apprendre à le connaître.

— Oui, c’est vrai…

— Parfait. De plus, vous aurez un intérêt personnel à cette mission. Notre agent dans l’escadron nous a informés qu’un de vos amis en fait partie. Un pilote remarquable.

— Corran Horn, dit Kirtan.

— Vous savez déjà beaucoup de choses… Acceptez-vous d’être l’instrument de la destruction de l’Escadron Rogue ?

— Avec le plus grand plaisir…